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La problématique de la traduction en Algérie
La problématique de la traduction en Algérie
Une belle trahison qui œuvre au rapprochement culturel des peuples
Par : Sihem Bounabi (La Tribune)

«La traduction, c’est la belle trahison. C’est aussi une nécessité universelle, car on ne peut pas établir un dialogue de civilisations, de cultures, de populations et de traditions sans passer par la traduction», nous confie d’emblée Amine Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale d’El Hamma (BN) et auteur prolixe, traduit dans une douzaine de langues, dont le chinois et le turc.
Amine Zaoui, qui se dit satisfait de la traduction de ses propres romans, explique que «la traduction reste le message le plus fort pour la communication entre les peuples et la sensibilisation de toutes les populations, de toutes les cultures, envers les grandes valeurs humaines à l’instar de l’amour, de la mort, de l’esthétique, de la justice et de la tolérance».
Ainsi, il estime que toutes ces valeurs ne peuvent pas être répandues dans les cultures mondiales sans passer par la traduction. Il ajoute également à propos de l’intérêt littéraire de la traduction : «Je pense aussi que la traduction est une manière de développer les styles dans l’écriture, de développer aussi les imaginaires. Car la lecture de poètes et de romanciers des autres cultures donne le sentiment d’un nouvel imaginaire, apportant ainsi un souffle nouveau à notre propre littérature.»
Amine Zaoui a également abordé les efforts déployés par la Bibliothèque nationale pour la promotion de la traduction en Algérie, à travers la création du groupe «Beit El Tarjama» ou le foyer de la traduction. Un foyer, qui, selon le premier responsable de la BN, «essaye de regrouper les meilleurs traducteurs pour, d’abord, répertorier les œuvres traduites vers les autres langues et réfléchir aussi à traduire les œuvres écrites en d’autres langues vers l’arabe».
La nécessité de s’ouvrir vers les langues universelles
Il souligne, d’autre part, l’importance de sortir du «ghetto arabe-français», afin d’aller vers d’autres langues, entre autres, l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’allemand, car, il devient nécessaire que «notre littérature passe dans les grandes langues universelles et le travail du groupe fait une réflexion autour de cela».
A cet effet, il explique que sa structure «travaille également avec les attachés culturels et les ambassades agréées en Algérie, pour essayer de faire passer nos écrivains dans leurs pays et, en même temps, essayer de traduire leurs écrivains pour les lecteurs algériens».
Un partenariat qui a déjà commencé à porter ses fruits grâce aux échanges avec, entre autres, les Italiens, les Américains, les Allemands et les Espagnols.
Il conclut, en précisant que «le rôle de la Bibliothèque nationale ne se limite pas à présenter des livres ou à réparer une salle de lecture, mais plutôt à livrer un message civilisationnel. Un message pour faire des livres de vie et des voix qui parlent. Car, les livres ne sont pas muets, mais parlent quand il y a une vie culturelle autour d’eux, et parlent également dans une autre langue».
Toutefois, malgré l’initiative de la Bibliothèque nationale, en partenariat avec le ministère de la Culture et d’autres organismes, la traduction demeure une question épineuse en Algérie.
Ainsi, qu’il s’agisse d’œuvres littéraires, d’ouvrages techniques, la traduction reste problématique dans notre pays, car elle exige de véritables compétences et coûte extrêmement cher.
La problématique de la traduction au cœur du SILA
Cependant, l’intérêt porté à cette discipline se fait de plus en plus ressentir. Dans cette optique, le concept de la traduction était l’invité des «Cafés littéraires» organisés en marge du 11ème Salon international du livre d’Alger (SILA). Lors d’une des rencontres abordant la problématique de la traduction dans le Monde arabe, l’écrivain algérien, Wassini Laaredj, avait souligné que «l’Algérie recèle une pléiade de traducteurs compétents, mais qui rebutent à traduire en l’absence d’un cadre juridique garantissant leurs droits». Le romancier a également estimé que «90% des ouvrages paraissant en langue française ne sont pas traduits en Algérie».
Par ailleurs, il a insisté sur la nécessité de la mise en place d’une «stratégie à même d’unifier et de coordonner les efforts des traducteurs dans le Monde arabe». En effet, le manque de coordination entre les principaux protagonistes du secteur est derrière le maigre bilan de la production des textes traduits dans le Monde arabe.
De plus, il a mis en exergue l’absence d’une banque de données sur les traducteurs et les œuvres traduites, qui pourrait faire éviter qu’une œuvre soit traduite plusieurs fois en arabe et, prive le lecteur de lire la traduction d’autres livres.
Dans un autre «café littéraire» du SILA, la traduction des romans d’auteurs algériens de l’arabe vers l’italien, a été évoquée par l’universitaire italienne, Jolonda Guardi. L’intervenante a confié à cet effet : «J’ai décidé de me consacrer à la traduction de la littérature algérienne d’expression arabe, après avoir découvert l’œuvre de l’écrivain Abdelhamid Benhadouga.» Tout en mettant en relief la richesse de la littérature algérienne, la traductrice italienne a exprimé ses regrets sur le fait que la production littéraire maghrébine reste insuffisamment connue en Italie.
S’agissant de sa méthodologie de traduction, Jolonda Guardi précise : «Je tiens toujours compte de la langue d’origine du livre durant tout le processus de traduction. Je cherche, par exemple, à maintenir la ponctuation pour préserver le rythme des mots dans son contexte original, ainsi que l’harmonie de la phrase.»
L’expérience russe, un exemple époustouflant
Au mois de mars dernier, la Bibliothèque nationale avait organisé une conférence autour de la thématique de «la littérature algérienne traduite en langue russe», animée par Mohamed Saïdi, ancien professeur de littérature russe à l’université d’Alger, et Abdelaziz Boubakir, traducteur et critique.
Mohamed Saïdi, avait donné l’exemple de l’évolution de la traduction en Russie, après la création de l’Institut des littératures universelles, dont la littérature algérienne fait partie, en soulignant que «les œuvres traduites des différentes langues universelles vers le russe dépassaient les œuvres écrites en russe».
Comparant les efforts déployés par la Russie dans le domaine de la traduction à ceux de l’Algérie, l’intervenant a estimé qu’«il n’y a pas lieu de comparer, entre un pays qui a traduit dans sa langue, dans une courte période, un plus grand nombre d’ouvrages que ceux traduits par l’ensemble des pays arabes à travers des siècles».
Quant au professeur Boubakir, il avait abordé les œuvres littéraires algériennes traduites en langue russe, puis dans toutes les langues des Républiques de l’ex-URSS, sans omettre de noter l’intérêt des Russes pour la littérature algérienne qui s’était manifesté au lendemain du déclenchement de la révolution nationale, en traduisant, notamment, les trilogies de Mohamed Dib, Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun.
L’engouement russe pour la littérature algérienne s’est aussi fait ressentir à travers la traduction, dans les années soixante-dix, des œuvres littéraires de Tahar Ouettar, de Abdelhamid Benhadouga ainsi que d’autres œuvres de la poésie algérienne.
Cette rencontre, a été, une fois encore, l’occasion pour le directeur de la Bibliothèque nationale, Amine Zaoui, de revenir sur l’importance de la traduction, et plus spécifiquement l’urgence de traduire en arabe les œuvres littéraires algériennes écrites en langue française .
Par ailleurs, lors d’une énième rencontre autour de la thématique de la traduction, le traducteur et écrivain Saïd Boutadjine, avait également tiré la sonnette d’alarme en estimant qu'«il est de notre devoir de réfléchir sérieusement à créer des ateliers et des centres professionnels de traduction, qui feront connaître nos œuvres, en prenant en compte l’aspect théorique et thématique. Car, la connaissance d’une langue ou plus, ne signifie pas forcément la maîtrise de la traduction d’une œuvre».
Finalement, loin de toute considération idéologique et politique, il devient nécessaire, en Algérie, de faire un inventaire des ouvrages traduits, afin de s’atteler sérieusement à la traduction d’autres ouvrages, suivant une méthodologie académique et professionnelle.
Pour conclure, la multiplication des rencontres et des conférences, ainsi que les nombreux projets qui voient le jour autour de la thématique de la traduction, montrent l’intérêt croissant des différents acteurs culturels et universitaires pour une réelle prise en charge de cette discipline dans notre pays. Une nécessité, mais également un devoir national, dans un contexte actuel, placé sous la bannière de l’urgence de l’instauration d’un véritable dialogue entre les différentes cultures.

S. B.
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