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L’enseignement artistique, formation ou information ?
Par : Nadira Laggoune. espritbavard.com

On ne peut plus se contenter de concevoir l’art comme une pratique de production d’objets, l’art est un champ complexe d’expériences où la notion même d’expérience est constamment remise en question, tout comme on ne peut plus s’adresser aujourd’hui aux étudiants comme on le faisait au 19e siècle.

En parlant d’enseignement de l’art, on fait référence, la plupart du temps à une formation structurée et systématisée de type académique qui, grâce à ses règles strictes, correspond à des objectifs pédagogiques classiques, c'est-à-dire reposant sur des « lois » académiques d’apprentissage soucieuses des proportions (anatomie, perspective, volume, sujet-composition…)

Le but de ce type d’enseignement transmis par le dessin, la peinture et la sculpture (arts longtemps dits « majeurs » et considérés comme l’art par excellence) a toujours été de transmettre un savoir-faire ayant pour référence et modèle la réalité objective.

Ainsi fut longtemps pensée (en Europe…) la fonction initiale de l’Ecole d’Art où la représentation de la nature ( corps humain, paysages, etc.) occupait la première place par les techniques de reproduction de plâtres, gravures, modèles vivants pour seulement, une fois acquises ces techniques, accéder à une expression plus subjective.

C’est ce système d’enseignement qui va prévaloir au lendemain de l’indépendance dans les pays décolonisés comme l’Algérie, et que vont dispenser les écoles d’art héritées de la colonisation (celles d’Alger, Oran et Constantine) ; il sera pris en charge par des enseignants locaux eux-mêmes formés dans ces écoles ou en Europe dès l’indépendance.

Cet enseignement de type classique va être dispensé de la même manière par la suite dans toutes les écoles d’art nouvellement créées par les jeunes Etats africains. L’acquisition des techniques classiques de représentation (dessin académique, techniques de la peinture etc.) va être considérée jusqu’à aujourd’hui comme la base et l’aspect le plus important de la formation artistique ; par ailleurs, le champ référentiel de cette formation s’appuie beaucoup plus sur l’histoire (de l’art) universelle européenne : c’est une attitude qui correspond/renvoie à la relation à l’art lui-même, dominée par une approche de l’objet d’art comme objet culturel avant tout, déterminé par son fonctionnement social.

Car l’apprentissage des techniques classiques de la représentation est perçu de la part du grand public comme un moyen d’accès à une pratique artistique figurative reconnue, admirée, et valorisée d’une part pour son côté « maîtrise du métier » dans le sens technique du terme et d’autre part pour la fascination (éternelle…) que provoque le pouvoir de reproduction du réel.

Mais cette même « admiration » correspond en fait aux besoins iconographiques de la société en matière de figuration, besoins qui alimentent et impulsent à leur tour la permanence de cette même figuration dans l’art algérien en particulier et africain d’une manière générale, comme ils orientent implicitement les artistes eux-mêmes vers ce type de pratique.
L’apprentissage de ces techniques (inexistantes avant la colonisation), relativement récent en comparaison avec l’Europe, est donc encore aujourd’hui considéré comme le moyen le plus reconnu, le plus sûr, d’appréhender le réel par l’art.

Cependant, cet enseignement académique qui se développera avec notamment la création de dizaines d’écoles d’art ne connaîtra pas (en dehors de l’école d’Alger) le changement provoqué dès les années 1970 en Europe par la mise en place des Facultés d’art plastiques à l’université qui y fut pensée comme une forme de contestation de l’enseignement académique. L’introduction de matières issues des sciences humaines comme la philosophie, l’esthétique, la psychologie ou la sociologie de l’art permettront l’ouverture et l’orientation de la recherche esthétique vers une mise en forme plus complexe des questionnements de la subjectivité.

Ce n’est que dans les années 1980 que ce changement fut introduit à l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger à l’occasion de son passage au statut d’école supérieure en 1985. En apparence, le changement ne porta que sur cet ajout de matières théoriques de sciences humaines prises en charge par des universitaires et le changement d’appellation des filières de Communication visuelle en « Design graphique » ou d’architecture intérieure en « Design aménagement » ; mais l’effet se fit rapidement sentir et un décalage fut alors observé (encore présent aujourd’hui) entre l’enseignement dispensé en théorie, plus critique et plus poussé, et l’enseignement pratique encore attaché à la maîtrise du métier dans le sens de la prouesse technique.

Les problèmes (faux ?) se posèrent alors , de la coupure entre théorie et pratique, plus ou moins alimentés par les parties concernées, les praticiens acceptant mal la présence, dans le champ de l’art, de ceux qui ne le pratiquent pas, la considérant comme une intrusion ; une résistance, une sorte de suspicion envers ce savoir dit « intellectuel » va persister alors, provoquant régulièrement des crises parfois aiguës mais aussi salutaires que douloureuses (tout changement se faisant chez nous dans la douleur…) pour la croissance de l’institution.

Mais les vraies raisons de cette situation sont encore une fois à chercher du côté du projet sociopolitique des Etats. L’université algérienne, comme les universités africaines en grande partie, est entièrement engagée dans des missions d’enseignement et de recherche appliquée aux domaines scientifiques. Cette option, adoptée dans la logique de la décolonisation, est basée sur le besoin de l’acquisition d’un savoir scientifique et technique nécessaire pour le développement socioéconomique ; si elle est légitime pour de jeunes Etats en construction elle va cependant, du même coup, dès les années 1970 réduire la place des sciences humaines et encore plus celle de la formation artistique (les écoles d’art vont, pendant de nombreuses années, dépendre tour à tour du ministère de l’Education nationale, de la Culture et du Tourisme, de la Communication et de la Culture et enfin de la Culture tout court….) dans le monde de la formation universitaire auquel celle-ci aspire à appartenir par la création d’écoles supérieures.

La formation artistique va être ainsi rattachée (abandonnée ?) au secteur de la culture comme une activité de type professionnel ou à d’autres structures étatiques et, aujourd’hui, ouverte au secteur privé sans balises d’aucune sorte. Les écoles d’art sont longtemps en marge de cet ordre du savoir dispensé à l’université comme si elles n’étaient concernées que par la création, la diffusion et la conservation du patrimoine artistique.

Le résultat est un manque flagrant d’échanges entre la communauté artistique et la communauté intellectuelle qui ne semble pas pouvoir s’ouvrir aux fabrications du savoir par la communauté artistique : coupée de l’université, la formation artistique est fragilisée. Si ce problème ne se pose plus dans les pays européens, il reste très présent et très réel aujourd’hui dans la plupart des pays africains comme l’Algérie où des crises récentes liées sur le fond à ce genre de problèmes ont secoué récemment l’école des Beaux-Arts d‘Alger.

Il y a bien longtemps que les savoirs scientifiques ont développé leurs propres modalités d’organisation institutionnelle qui permettent leur reconnaissance comme formes dominantes du savoir et comme modèles de la production universitaires ; la tradition esthétique, elle, (européenne héritée encore….) chargée du vieux fardeau de l’opposition entre théorie et pratique, qui a constitué l’autonomie de l’art, l’a en même temps, séparé du savoir ; nous l’avons à notre tour assimilée et continuons cette vieille polémique, épuisée depuis longtemps sous d’autres cieux, meurtrissant et freinant l’évolution de notre propre institution.

Cette vieille dichotomie théorie/pratique, connaissance/ création, science/art ne peut disparaître que par l’effort de reconnaissance universitaire des écoles d’art et leur intégration dans le système de l’enseignement supérieur ; ce qui permettrait la disparition, à long terme, de la coupure entre ce qui relèverait d’une « activité de production de connaissances théoriques » et ce qui relèverait d’une activité de production « d’œuvres plastiques ».

Cette intégration introduirait, dans le même ordre d’idées, la dimension combien importante de la recherche en art et sur l’art qui ramène à la production d’un savoir théorique sur un objet ou la quête d’un praticien dans l’élaboration de son œuvre ; elle suppose donc à la fois l’objectivité d’un suivi méthodologique contrôlé (critique, philosophique…) et la subjectivité d’une expression singulière.

C’est par la recherche autour du savoir et du savoir-faire artistique que la formation peut alors opérer le déplacement déterminant de « l’information » souvent en vigueur dans l’enseignement et comprise comme l’acte de communiquer des données, vers la « formation » comprise comme l’acte de donner forme aboutie à la pensée. Cependant ces questions n’ont jamais fait l’objet d’une étude poussée, de rencontres entre les acteurs de cette formation pour mettre à plat l’importance de la création d’échanges des savoirs ou de leur rapprochement.

Certains pays (moins développés ?) africains se préoccupent pourtant de le faire, un exemple : l’université d’été organisée au Sénégal à Toubab-Dialaw (40 km de Dakar) par l’Université Cheikh Anta Diop et l’Auf sur « La transmission des savoirs artistiques à l’université » du 14 au 20 octobre 2007 et dont l’objectif était de développer des synergies entre différents ordres du savoir et du savoir-faire, ce dernier représentant un potentiel énorme en Afrique qui gagnerait à être fructifié.

Le but principal de cette université d’été était d’organiser « la rencontre de tous ceux qui aspirent à cette culture avec ses formes les plus parfaites ». Parmi ses objectifs il s’agissait de concrétiser ce but par la création de l’Institut Supérieur des Arts et des Cultures de l’Université Cheikh Anta Diop et le Festival des Arts et des Cultures d’Afrique, de l’Océan Indien, des Caraïbes et de la Diaspora.

Les problèmes qui furent posés en atelier à cette occasion ont concerné directement l’usage de l’information/référence telle que dispensée et la manière dont elle est transmise : abordée la plupart du temps comme référence sans approche critique, elle ne produit qu’identification et est présentée par conséquent, comme symbolique d’un système ou d’une période de l’histoire de l’art ; elle est alors perçue comme un modèle à suivre ou pire, à imiter : c’est ce qui se passe d’une manière générale dans nos écoles aujourd’hui : il s’agit là d’un problème de références trop « digérées » et leur réception/relation par l’étudiant reste rigide.

L’université aurait alors la tâche de porter la recherche en art, sur l’art et autour de l’art à condition évidemment bien sûr de ne pas faire l’impasse sur l’originalité des écoles d’art, la dimension cognitive des pratiques artistiques (locales ou exogènes), de proposer des pôles de pratique et de théorie non seulement dans des domaines séparés et complémentaires mais comme des appuis qui traversent le travail artistique et le prolongent comme une pensée à la fois opérante et critique.

Car on ne peut plus se contenter de concevoir l’art comme une pratique de production d’objets, l’art est un champ complexe d’expériences où la notion même d’expérience est constamment remise en question, tout comme on ne peut plus s’adresser aujourd’hui aux étudiants comme on le faisait au 19ème siècle. L’historicité de l’art fait que celui-ci n’a pas cessé de se diversifier et de se transformer dans son statut comme dans ses formes, ses moyens et les modalités de son existence.
L’histoire des pratiques artistiques et les démarches de création générées par la technologie numérique remettent aujourd’hui en question le statut objectal de l’œuvre d’art, la subjectivité individuelle de l’artiste et transforment le champ culturel de la création.

C’est pour cela que les étudiants aujourd’hui manifestent un engouement certain pour les work-shops initiés à l’intérieur de l’école par des artistes, enseignants ou universitaires étrangers à celle-ci, en marge du cursus pédagogique courant : c’est une preuve évidente de la transformation de leur rapport au réel car les workshops se présentent comme des interstices, des lieux d’infraction favorisant l’émergence, l’évènement et la création d’autant plus que l’environnement au sens large du terme n’offre pas de paysage réellement conforme à leurs attentes qui, elles, sont modelées par leur hyperconnection à une scène contemporaine de l’art à laquelle ils ont accès par le biais d’internet.

Il y a, par ailleurs, là un double problème : un enseignement qui reste classique et celui , informel, dispensé par le net et impliqué dans l’actualité ; cette situation fait que l’étudiant construit seul son identité parfois brouillée entre des références multiples et contradictoires ; néanmoins il est probable que les unes complètent les autres et qu’un dialogue entre ces informations/formations s’instaure qui développe un esprit de relativité critique chez les étudiants.

La question reste posée de maintenir ou non un enseignement de type académique et les réponses sont mitigées ou prennent la forme de questions comme « faut-il savoir dessiner pour être un artiste… ? » ou de postulats « la base académique est une condition sine qua non pour évoluer vers des formes d’art plus complexes… » ou encore de manière plus tranchante on considère qu’elle « n’est plus nécessaire à l’heure où l’homme a intégré des formes complexes du savoir comme les nouvelles technologies, qu’il est le produit du siècle du numérique et que tout cela lui permet de faire l’économie de l’apprentissage traditionnel et de bénéficier de raccourcis pratiques pour créer encore plus librement, sans contraintes comme le veut l’expression artistique ».

Enfin la force éternelle de la dialectique fait que le changement est le plus fort : l’introduction d’une post-graduation à l’école supérieure des Beaux-Arts d’Alger dans les années 1990 a fait son chemin, lentement mais sûrement, aboutissant aujourd’hui à une mise en place de passerelles, encore faibles mais réelles, entre divers types de savoir ; celles-ci se concrétiseront bon an mal an, il suffit que la communauté concernée y adhère ne serait-ce qu’en partie.

Nadira Laggoune
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