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ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR BELKACEM HADJADJ |
«L’argent public doit aller aux professionnels»
Par : O. HIND. L'Expression. (05/04/2008)
En plus d’être producteur, Belkacem Hadjadj vient de revêtir, récemment, la casquette de président de l’association Arpa qui oeuvre pour la remise en ordre du secteur du 7e art en Algérie
Né en 1950 à Alger, Belkacem Hadjadj est producteur, comédien et réalisateur au tempérament acéré. Il étudie le cinéma à l’Insas, à Bruxelles, d’où il sort diplômé en 1977, et travaille pour la Radio Télévision belge (RTB) jusqu’en 1978, puis pour la Radio Télévision algérienne (RTA) de 1978 à 1987. Enseignant le cinéma de 1985 à 1991 à l’Institut national des sciences de l’information et de la communication (Insic) d’Alger, il est l’auteur de quelques documentaires (Une femme-taxi à Bel Abbès, Arc-en-ciel écarlate...) et téléfilms (Le Bouchon, La Goutte, El Khamssa...), avant de s’atteler à Machaho (Il était une fois), son second long métrage de fiction dans lequel il joue aussi. Tourné en langue berbère, ce dernier raconte l’histoire d’un paysan kabyle qui recueille et soigne un jeune étranger mourant sous la neige. Une tendre et discrète relation se noue entre ce dernier et la jeune fille de la maison. Après son départ, le paysan découvre que sa fille est enceinte et il n’a plus qu’une idée en tête, venger son honneur. L’Arc-en-ciel étoilé en 1998 a été conçu autour d’une fresque entreprise avec le concours d’un psychiatre et d’un plasticien, où le réalisateur se penche sur le travail de deuil des enfants victimes du terrorisme. En 2004 sort El Manara, un film qui retrace le parcours de la tragédie nationale suivant trois portraits de destinées bouleversantes. Aujourd’hui, Belkacem Hadjadj a monté sa propre boîte de production, appelée à juste titre Machaho, qui a déjà produit plusieurs films dont Ayrouwen de Brahim Tsaki. Il évoque avec nous le bilan du panorama du cinéma, résultat de l’incontournable «Alger, capitale de la culture arabe 2007», et nous instruit sur ce qu’il faut faire pour que le cinéma algérien aille mieux. Ecoutons-le.
L’Expression: Etant l’un des acteurs fondamentaux de la cinématographie algérienne, producteur, réalisateur et aujourd’hui président de l’association Arpa, ayant animé un séminaire lors du récent Panorama du cinéma (portant le bilan des 68 films réalisés dans le cadre de «Alger, capitale de la culture arabe 2007»), quel est votre avis sur l’événement qui vient d’avoir lieu?
Belkacem Hadjadj: A partir du moment où il y a des images qui sont projetées dans des salles obscures, et qu’il y a des gens qui viennent les voir, vous pensez bien que je ne peux que me réjouir! D’autre part, le fait que malgré tout, la machine de production s’est remise en route, c’est aussi quelque chose de très positif. La troisième chose, c’est que ce genre de rencontres a permis aux professionnels de se rencontrer. Il y a des gens qui se sont revus et se sont jetés dans les bras les uns des autres car ils ne se sont pas rencontrés depuis des années. Ceci pour dire aussi tout l’isolement dans lequel se trouvent les gens à Alger, de manière générale et en particulier les créateurs.
Un mot sur la participation de l’association Arpa...
On a profité pour regrouper nos collègues et puis les gens qui s’intéressent à l’audiovisuel pour établir durant deux jours l’état des lieux du cinéma en Algérie, et voir où nous en sommes. Le «Panorama» c’est positif, maintenant il faudra faire le bilan de tout cela, sans complaisance aucune et puis en tirer des leçons pour faire mieux les prochaines fois. Pour que cela serve de tremplin, de point de départ. Que cela ne soit pas un événement occasionnel sans suite concrète. Comme je l’ai dit, il faudra faire le bilan de cette semaine et continuer sur cette lancée. C’est une chose réjouissante que Mme la ministre ait annoncé que le Fdatic a été alimenté, et ce, de manière consistante, c’est tant mieux. Je pense que maintenant, il faudra faire un saut et se préoccuper de la qualité des produits. On s’est rendu compte que la machine s’est dégrippée, il faudra ainsi veiller à ce que les efforts de tous ces gens qui se mobilisent autour de la production, de manière générale, aboutissent à des produits qui soient les meilleurs possibles car, désormais, le retard que le cinéma algérien a pris est tel qu’il va nous falloir redoubler d’efforts pour retrouver le niveau des productions internationales. Nos techniciens, qui n’ont pas travaillé pendant des années, ont été largués. Des gens ont peut-être besoin d’une remise à niveau sur le plan technologique. Il y a du nouveau matériel, que ce soit au niveau de la prise de vue, ou du son.
Est-ce là les raisons pour lesquelles vous vous êtes réunis durant ces deux jours lors de ce séminaire, à savoir discuter autour de ces problèmes?
Oui. Sous-tendues par ces préoccupations-là. L’association a organisé deux journées de réflexion. En fait, l’Arpa a entamé ce travail depuis longtemps. Elle a mis en place des commissions qui travaillent tranquillement chacune dans son axe, pour suivre l’évaluation de l’état des lieux et puis, voir, en s’inspirant de ce qui se fait dans d’autres pays et l’adapter à notre contexte économique et politique, etc., ce qu’on pourrait faire.
Notamment sur le plan législatif donc...
Nous considérons au niveau de l’Arpa que la situation est dans un tel état de régression et de délabrement que tout doit être fait en même temps. On doit faire face en même temps à toutes les parties qui interviennent dans la relance du secteur. Si vous prenez le financement, on a énormément de travail à faire là-dessus. Parce qu’il ne faudra pas se limiter au Fdatic. Il va falloir qu’on songe et qu’on imagine un certain nombre d’autres façons de financer des films par la création de nouveaux fonds et mécanismes; impliquer les régions, les wilayas de manière systématique. Dans le travail qu’on est en train de faire, cela consiste à lister des propositions. Des propositions pour la défiscalisation, l’aide directe et indirecte etc. Si le financement est réglé, cela ne suffit pas, il faudra que cet argent aille véritablement au cinéma. C’est-à-dire qu’il faut réorganiser la profession. Le deuxième point, qui est important, est celui de la réglementation et la législation. Il y a une loi de laquelle tout découlera. Après, il y aura des réglementations à mettre en place, des agréments pour les sociétés de production, des cartes professionnelles. Notre logique est simple, il faudrait que l’argent public aille aux professionnels. Pour cela, il faut que les sociétés qui viennent demander de l’argent soient reconnues par le ministère de la Culture, et agréées. Une fois que cet argent est attribué, il doit aller aux professionnels et faire travailler des professionnels. Ces derniers seront identifiés par des cartes professionnelles. Avec cela, nous avons un gros déficit de techniciens. Il y a le volet formation, en troisième lieu, qu’il faudrait suivre aussi, en même temps, car il est important et capital. Il y a des problèmes plus urgents que d’autres. Celui du manque de scénaristes, d’ingénieurs du son. La preuve, à chaque fois qu’un réalisateur veut assurer un bon son, il fait appel à des techniciens étrangers. En quatrième lieu, quand on a fait tout cela, pour ne pas que le film reste dans les tiroirs, il faut qu’il aille à la rencontre du public. D’où le problème de la distribution, des salles et de leurs gestionnaires. Je vous signale qu’il y a actuellement le projet du jumelage entre l’université d’Alger et celle de Montpellier pour assurer une post-graduation aux gestionnaires de salles. On est obligé ainsi d’affronter tous ces problèmes en même temps.
Quelles sont les solutions proposées par l’Arpa?
L’Arpa n’a pas de solutions. Elle veut contribuer à faire avancer les choses, à réfléchir ensemble, à émettre des propositions. C’est ce en quoi consiste notre travail. Définir, notamment les critères à même de permettre la délivrance des cartes aux professionnels. Sur le plan de la formation par exemple, on veut que l’Ismas soit véritablement opérationnel. On est en train de réfléchir aussi aux objectifs fixés aux centres de formation professionnelle de l’audiovisuel qui, pour le moment, font dans le flou, car on ne sait pas ce qu’ils forment. On va leur proposer qu’ils forment dans les métiers qui ne sont pas assurés par l’Ismas, comme le maquillage, le costumier, le machiniste, etc. Tous les autres métiers dont a besoin le cinéma et qui ne sont pas pris en charge par l’Ismas. Parallèlement à cela, l’Arpa a organisé une série de stages, en particulier pour les ingénieurs du son dont beaucoup nous ont affirmé que ce stage n’a fait que révéler leurs lacunes. On va refaire d’autres stages pour les suivre. En même temps, ces mois de mai et juin, on initie un stage sur le métier de scénariste. On va les accompagner. Ces stages seront encadrés par des gens qui viendront d’Europe et du monde arabe. Le stage d’ingénieur du son sera encadré par une personne de la Fémis, de Paris. L’Arpa envisage d’en organiser d’autres...
On croit savoir que l’Arpa a fait de sorte que le cinéma, au début de l’année prochaine, soit enseigné dans les établissements scolaires. Est-ce vrai?
Oui, à côté de tout cela, nous considérons que le cinéma doit réintégrer les écoles. On souhaiterait faire un travail avec le ministère de l’Education pour réintroduire le cinéma, dans un premier temps comme activité culturelle et après comme complément pédagogique. C’est-à-dire que les films puissent venir en renfort aux cours qui sont donnés. Et qu’à terme le cinéma devienne lui-même une matière à enseigner, comme c’est le cas dans un tas de pays ailleurs, où il y a même un Bac spécialisé en cinéma... Aussi on est en train de faire un travail avec les ciné-clubs, c’est-à-dire de renforcer et d’impulser et d’encourager toutes les possibilités où le cinéma rencontre le public.
A côté de tout ce branle-bas de combat pour la profession, que devient Belkacem Hadjadj, le réalisateur? Et quel regard porte-t-il sur ses anciens films?
Belkacem Hadjadj le réalisateur est sur le point d’achever son scénario qu’il va bientôt tourner, j’espère. Je ne vous en dirai pas plus, sinon que l’idée du scénario est partie d’un roman algérien. Pour le reste, dès qu’on tourne un film celui-ci ne vous appartient plus mais plutôt au public. Machahou continue à être demandé et à être vu. El Manara continue à circuler et demain je pars au sud de la France pour le présenter. Ce film semble travailler particulièrement sur la durée. En France, il y a des écoles qui le demandent, ainsi des associations parce qu’elles considèrent qu’il a une vertu pédagogique sur les événements qu’a vécus l’Algérie durant les années 1990. Pour le reste, j’assume mon rôle de producteur. On a produit, Ayrouwen, de Brahim Tsaki, qui est un film en tamasheq, le documentaire de Moham Tati, Joue à l’ombre, la série Les Merveilles d’Algérie. Pour Ayrouwen, on va jouer le rôle de distributeur pour le faire sortir dans les salles. Car la logique dit que moi, j’ai fini mon travail.
Ne pensez-vous pas qu’à un moment ou un autre, il vous faudra choisir entre votre métier de réalisateur et celui de président de l’Arpa?
Je vous signale que si je devais choisir, je suis réalisateur et rien d’autre, même pas producteur, car ce dernier je le fais par nécessité. Malgré mon programme très chargé, je me suis fait un devoir, urgent, de dégager du temps pour travailler avec mes collèges à l’Arpa afin de faire avancer les choses parce qu’on ne peut laisser les choses telles qu’elles sont. Le fait qu’on soit démobilisé et qu’on ne se soit pas occupé de cela, a fait que le terrain a été occupé, je dirais par n’importe quoi, n’importe qui... On a quand même une part de responsabilité. Nous sommes l’ancienne génération. On a accumulé une espèce de savoir sur le plan professionnel et une espèce de savoir par rapport au contexte algérien. C’est pourquoi, il est de notre devoir de le transmettre à la nouvelle génération, c’est pourquoi je ne cesse de dire et demander aux jeunes réalisateurs de venir nous rejoindre et de s’impliquer. Tout ce que l’on est en train de faire maintenant, c’est pour eux.
On croit savoir que l’Arpa a bénéficié d’une certaine somme d’argent. Que comptez-vous en faire?
L’Arpa n’a pas encore bénéficié d’une somme d’argent de la part du ministère de la Culture. On a remis un programme d’activités et le ministère a décidé, justement, de contribuer au financement de deux stages, celui des ingénieurs de son et des scénaristes. Le ministère a donné son accord de principe pour une subvention de soutien de ces stages.
O. HIND |
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