Galeries d’art. Naissances et renaissances
Posté par alger-culture le November 19 2006 22:06:56
L’art de la concertation
Par : Slimane Brada (El Watan -16/11/2006-)






















Tableau du peintre algérien Issiakhem

Nouvelles entendues
Galeries d’art. Naissances et renaissances

L’art de la concertation

Par : Slimane Brada (El Watan -16/11/2006-)

Le peintre Hellal Zoubir déplore qu’Alger ne compte pas autant de galeries que Tunis qui en aligne une cinquantaine (voir interview ci-après). En effet, notre capitale n’abrite pour l’instant qu’une dizaine de galeries et, à l’intérieur du pays, force est de constater le désert qui règne en la matière.
Si cet état des lieux est affligeant, il faut cependant enregistrer une tendance encourageante, bien qu’encore timide. Mais les initiatives se multiplient, et c’est tant mieux pour les artistes et les amateurs d’art. La doyenne, la galerie Mohamed Racim, avenue Pasteur, existe depuis l’indépendance. Gérée par l’UNAC, elle a le mérite de poursuivre son activité bien qu’elle nécessite sans doute une rénovation complète à la hauteur de ce lieu historique qui a marqué l’éclosion de la peinture algérienne de l’indépendance. Toujours au centre-ville, rue Asselah Hocine, la galerie Temmam, dépendante de l’EPIC Arts et Culture, se consacre surtout à de jeunes peintres ou à des amateurs. Un peu plus excentrée, la galerie Esma, à Ryadh El Feth, se distingue par sa surface et la qualité de son espace et de ses équipements. Ouverte en 1986, elle clôt cette année deux décennies, ajoutant à cette exceptionnelle longévité un palmarès balisé par des événements de haut niveau centrés sur l’art moderne et contemporain algérien. Les autres galeries que nous avons pu recenser, en excluant les espaces non spécialisés (maisons et palais de la culture, halls d’hôtels, ateliers d’artistes…) se trouvent toutes en banlieue. La cherté des locaux du centre est peut-être la cause de cette localisation mais la périphérie présente des avantages non négligeables, tels que le stationnement. Ces galeries ont de plus suivi en quelque sorte leurs habitués qui vivent de plus en plus aux portes de la ville. On y compte ainsi les galeries Top Action, Arts en liberté, Dar El Kenz, Djenane El Fen et Farid Benya qui s’efforcent, chacune à sa manière, de promouvoir leurs artistes et de créer des rendez-vous marquants. Ainsi Top Action en est à la 5e édition de ses rencontres internationales, tandis qu’El Kenz a organisé sa 6e édition du Salon d’automne du petit format. A celles-ci est venue s’ajouter la galerie L. B. à Dély Ibrahim qui ouvre ses portes aujourd’hui même avec l’Expo Printemps de l’artiste Lazhar Hakkar, voulant signifier à contre-saison la floraison artistique souhaitée. Ce nouvel espace refuse de se spécialiser, estimant que la diversité des genres dans notre pays est encore limitée à trois catégories essentielles : l’abstrait, le semi-figuratif et un courant disons orientaliste. Selon ses promoteurs, sa démarche se concentre avant tout sur « la recherche de la sincérité de l’expression et la qualité artistique des œuvres », quel que soit le genre. Prochainement, la galerie L. B. entend s’étendre à un espace Estampes qui permettra de créer et de promouvoir la gravure et toutes les formes artistiques de reproduction. Longue vie donc à la nouveau-née ! La galerie Arts en liberté de Kouba qui est devenue un espace dynamique qui a su se forger une identité vient pour sa part de s’installer dans de nouveaux murs. Les locaux sur deux niveaux lui permettront de développer davantage son action, notamment avec l’inauguration d’un espace librairie consacré essentiellement aux arts et au patrimoine. L’exposition intitulée plaisamment « Ailleurs mais toujours en liberté » regroupe plus d’une quarantaine d’artistes qui ont voulu marquer leur soutien à cette « renaissance ». L’animatrice de la galerie, Ouahiba Aboun Adjali, nous a déclaré à ce propos : « Nous avons voulu que les artistes prennent en main l’espace et l’investissent de leurs talents divers. L’originalité de cette expo inaugurale tient au fait que durant trois semaines, chaque jour aura lieu un accrochage différent, avec de nouvelles œuvres arrivant au fur et à mesure. Ainsi, les visiteurs pourront venir plusieurs fois sans voir la même chose. » Avec ce nouveau lieu situé près de l’Ecole normale de Vieux-Kouba, Arts en liberté dispose désormais d’une surface d’exposition de près de 200 m2 et de salles qui lui permettront d’étendre son activité à d’autres volets : la diffusion des écrits sur l’art et le patrimoine, l’ouverture d’ateliers pour des artistes et le jeune public, l’organisation de conférences-débats sur l’art… « Il s’agit, précise notre interlocutrice, de ne pas nous cantonner dans la diffusion et dans la promotion des œuvres mais aussi de susciter une réflexion sur l’art algérien, notamment de l’art contemporain qui reste notre objectif. Nous espérons ainsi contribuer, à notre échelle, à la mise en évidence du rôle de la recherche et de la critique dans l’essor artistique du pays. » A ce souci d’une vision approfondie de l’art dont l’absence pénalise en premier lieu les artistes, s’ajoute la nécessité d’une évolution du marché de l’art vers des normes universelles. A ce propos, Mustapha Orif, fondateur de la galerie Esma, mais qui ne la gère plus, jette un regard intéressant sur l’évolution de ces dernières années : « Avant 1986, le marché était confidentiel. Les artistes étaient obligés souvent de recevoir les collectionneurs dans leurs ateliers sinon à leurs domiciles. Depuis, avec la création de notre galerie puis d’autres galeries, surtout à partir du début des années1990, une dynamique s’est enclenchée et un marché de l’art a commencé à se former. On peut dire qu’en 20 ans, les choses ont quand même évolué qualitativement et qu’une certaine professionnalisation du secteur a pu émerger. Des collections privées se sont constituées aux côtés des collections publiques. Cette idée est admise désormais et le ministère de la Culture reconnaît aujourd’hui la nécessité d’un marché de l’art. Les artistes de leur côté comprennent mieux qu’auparavant l’apport d’un réseau de galeries d’art. Cela crée de l’émulation, et il y a un travail de promotion, même si les moyens restent limités. » Cette évolution appréciable demeure en effet en deçà des besoins et des attentes et notre interlocuteur ajoute : « Beaucoup reste à faire. Les galeries œuvrent à la promotion des artistes, au rapprochement avec le public, parfois aussi au niveau international. Notre galerie a participé à deux événements internationaux, mais cela demande encore trop de moyens. L’édition d’un catalogue par exemple est encore trop coûteuse, vu le manque de mécènes, et un travail doit être mené pour promouvoir le mécénat artistique. De plus, il n’existe pas de concertation entre les galeries. Elles sont naturellement concurrentes mais dans tous les autres pays, elles s’accordent sur des règles de travail et œuvrent à organiser et a animer le marché de l’art, parfois en organisent des événements à plusieurs. » Ces remarques coïncident avec la comparaison que nous pouvons établir entre le monde des galeries et celui des librairies, ces dernières ayant réussi, dans un cadre aussi concurrentiel, à créer une association professionnelle, fonder un prix littéraire et s’imposer comme un animateur du secteur et un interlocuteur des pouvoirs publics. Alors, à quand une rencontre des galeries ? La concertation est aussi un art.

Slimane Brada