Industrie du livre en Algérie
Posté par alger-culture le November 07 2016 12:23:20
Le marché sous le diktat des importateurs

Au delà de l’engouement qu’a connu la 21e édition du Salon international du livre d’Alger à travers le nombre important de visiteurs, d’autres questions de grande importance nécessitent d’être soulevées.


Des questions liées au développement de l’industrie du livre, un secteur encore à l’état embryonnaire, qui peine à sortir de sa dépendance vis-à-vis des importations, mais aussi à explorer l’exportation et entrer dans l’ère du numérique.

Avec les difficultés que rencontrent les maisons d’édition nationales, les facilitations accordées aux importations et le retard accusé dans le développement des nouvelles technologies, difficile de franchir ces pas. Ainsi, l’appel du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, concernant la transition vers le livre numérique et la conquête du marché étranger semble utopique.

Et pour cause. Tout comme les autres produits hors hydrocarbures, la production du livre fait face à d’innombrables difficultés sur le terrain. La nouvelle loi de juillet 2015 sur le livre n’a pas apporté les changements souhaités. Elle rend l’investissement dans le secteur encore plus contraignant, selon les avis recueillis.

Comme à chaque édition, la foule était fort nombreuse au rendez-vous du 21e Salon international du livre d’Alger (SILA). Entre les mordus du livre venus découvrir les nouvelles publications et assister aux différentes conférences, les étudiants, les lycéens, les familles, les affairistes, ou tout simplement les habitués des pavillons de la Société algérienne des foires et exportations (Safex), qui ne ratent aucune manifestation à ce niveau, les visiteurs affluaient quotidiennement en masse vers les Pins Maritimes.

Il faut dire que la participation des centres culturels étrangers a eu un impact positif sur le nombre de visiteurs venus prendre connaissance des «propositions» de cours de langues étrangères et se renseigner sur les conditions d’accès aux études supérieures en Europe ou aux USA, par exemple.

Les conditions météorologiques, avec le prolongement des jours ensoleillés en ce début de novembre, et la petite semaine de vacances scolaires, ont favorisé cet engouement pour le SILA. Les participants ont pour leur majorité essayé d’adapter l’offre à la demande en ce début d’année scolaire et universitaire, puisque ce sont les livres les plus recherchés, surtout avec le changement opéré dans les programmes. «Les parents veulent savoir si les livres parascolaires ont été adaptés au programme.

Vu que nous n’avons pas eu le marché cette année, nous les orientons chez ceux qui l’ont eu, en l’occurrence l’ONPS et l’ENAG», nous dira la représente de Casbah Editions. Globalement pour cette édition, qui a regroupé plus de 900 éditeurs et organisé sous le signe «Le livre, totale connexion», le cap a été mis sur la diversification de l’offre.

L’aspect professionnel a été relégué au second plan, laissant place plutôt «au commerce du livre». Un secteur où beaucoup reste à faire pour mettre en place une véritable industrie et pour assurer cette connexion tant recherchée entre les différents acteurs. Il reste alors l’occasion du SILA pour augmenter les ventes et tenter de redynamiser ce segment. Et ce, d’autant que pour le restant de l’année, le constat est bien là.

Il a été réitéré à maintes reprises, les librairies sont souvent désertées et n’accueillent du monde qu’à l’occasion des ventes-dédicaces. Les participants au SILA 2016 ont d’ailleurs relevé ce paradoxe. Mme Salhi, représentante des éditions Gallimard, nous le fera remarquer : «Pendant le Salon, ça marche très bien. Nous enregistrons beaucoup de ventes, alors qu’on ne voit pas autant de monde habituellement dans les librairies.»

Et de poursuivre : «Nous avons une forte demande pour les romans et les essais, dont certains ne sont pas disponibles chez les libraires. Ce qui fait que les gens, essentiellement les étudiants, attendent le Salon pour acquérir ces livres que nous cédons à des prix abordables, parfois même pas au taux de change officiel.» «Exemple, un livre à 21 euros est vendu au Salon à 2400 dinars, alors qu’on peut le retrouver ailleurs beaucoup plus cher», nous expliquera la représentante des éditions Gallimard, pour qui la nouvelle loi sur le livre n’a pas mis fin au monopole des importateurs.

Comment? «Pourquoi un libraire doit-il passer par un importateur pour commander un livre et éviter une rupture sur le marché national?», s’interroge-t-elle en guise de réponse. Pour notre interlocutrice, cette mesure aurait pu diminuer la pression autour du SILA, devenue au fil des éditions plus une foire qu’un Salon. «Normalement, c’est une rencontre professionnelle. Il faudrait à mon sens revoir la structure du Salon», proposera-t-elle. Pour d’autres participants, ce n’est pas l’organisation qui inquiète, mais plutôt la baisse des ventes.


La crise s’invite au salon

C’est le cas pour Hachette Editions, pour qui la crise a fini par avoir son impact sur le marché du livre. «Il y a moins de ventes cette année par rapport à l’année dernière. Je pense que c’est dû à la baisse du pouvoir d’achat des Algériens», nous dira à ce sujet le représentant de Hachette. Un avis partagé par un autre éditeur privé. Chez Mondiale livre bureautique et Littérature jeunesse, l’on estime que la crise a bien eu son effet sur le marché du livre. «Il y a moins d’engouement cette année», regrette-t-on à ce niveau. Une tendance inversée chez Dalimen Editions, qui a accordé à l’occasion de ce Salon d’importantes remises. Imene Allal, directrice d’édition, évalue d’ailleurs la demande en hausse, notamment pour les livres dédiés au patrimoine et pour la bande dessinée.

Toutefois, notre interlocutrice relève que, concernant le marché du livre en général, la nouvelle loi (n° 15-13 du 15 juillet 2015), qui consigne la politique du prix unique du livre, n’a rien apporté comme changement. C’est le cas pour la mesure obligeant un prix unique pour le livre. «Je comprends le libraire», dira-t-elle, pour justifier la réticence de cette catégorie vis-à-vis de cette mesure. Du côté de l’Entreprise nationale de communication, d’édition et de publicité (ANEP), l’on défend bec et ongles cette nouvelle loi.

Politique fiscale pénalisante

Intervenant la semaine dernière sur les ondes de la Radio nationale, Si Ali Sekhri, conseiller à l’ANEP, a estimé que le nouveau texte réglementaire donnera un nouveau visage à l’édition pour la hisser de son rôle de prestataire au rang de producteur. Il citera comme avantages l’encadrement, la concurrence et l’incitation à l’achat des livres par les institutions. Or, sur ce point, la crise commence à se faire ressentir. «Les institutions publiques et les ministères ont réduit leurs commandes», nous dira à ce sujet la directrice d’éditions de Dalimen, qui relèvera par ailleurs la forte concurrence des importations dont la part est évalué à 60 millions d’euros, selon Ahmed Madi, président du Syndicat national des éditeurs du livre (SNEL).

Une concurrence jugée déloyale par de nombreux éditeurs, comme c’est le cas de Abdlehalim Salhi, directeur de la maison d’édition, d’impression et de distribution La Bibliothèque verte. «On encourage beaucoup plus la concurrence déloyale via l’importation, au détriment d’une production nationale. Avec 35% du prix local, qui va aux taxes sur les intrants et 12% seulement pour le livre importé, le choix est vite fait», regrette-t-il. Un point que ne manquera pas de souligner le représentant de l’ANEP, pour qui, la politique fiscale continue de pénaliser la production locale.

Cependant, la nouvelle loi tente de rectifier quelques anomalies. «Avant, l’importateur faisait de la concurrence déloyale en appliquant des remises allant jusqu’à 30%. La nouvelle loi limite ces remises», a soutenu M. Sekhri. Et de regretter, par ailleurs, le fait que la nouvelle loi donne plus de pouvoir aux «bureaucrates» par la soumission de l’édition et de la commercialisation du livre «à une autorisation préalable du ministère de la Culture». «C’est l’une des faiblesses de ce texte. En quoi un bureaucrate du ministère de la culture a plus de compétences que moi pour choisir un texte», a expliqué M. Sekhri plaidant en faveur d’un contrôle a posteriori.


Encore tôt pour parler du livre numérique

Une manière de lancer un appel aux pouvoirs publics pour associer les acteurs de l’industrie du livre à l’élaboration de lois.
Ce que notera également Abdelahalim Salhi, pour qui le temps est à la mise en place des conditions nécessaires pour la promotion de l’investissement dans le livre via toutes les chaînes de l’édition à la distribution.

Et ce, avant de passer au développement du livre électronique, qui est loin d’être considéré aujourd’hui comme un concurrent au livre papier, selon les témoignages recueillis auprès des participants au SILA 2016. «On n’est pas encore en phase de parler livre électronique. Organisons d’abord ce que nous avons avant de passer à ce niveau», estime-t-on à ce sujet. A commencer par l’ouverture des librairies, dont le nombre reste dérisoire à l’échelle nationale avec seulement 200 unités qui n’arrivent pas à se maintenir dans un secteur aussi difficile. «Il faut encourager l’ouverture de librairies en soutenant les initiatives à travers les aides, l’exonération d’impôts et en associant l’Agence nationale de soutien à l’emploi de jeunes (Ansej).

Ce ne sont pas les idées qui manquent», précisera l’éditeur Abdlehalim Salhi. Le projet de récupération de bouteilles d’eau pour l’ouverture de petites librairies sous forme de kiosques commence d’ailleurs à faire son chemin.

Samira Imadalou

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Mustapha Kallab Debbih . Président de l’Organisation nationale des éditeurs de livres : «Il faut donner l’avantage à la production locale»

Comment évaluez-vous le marché du livre en Algérie ?

Le marché du livre en Algérie souffre d’une crise existentielle. En effet, nous estimons que la demande publique, essentiellement exprimée en commande des bibliothèques universitaires et de lecture publique, constitue jusqu’à 85% du marché national du livre. L’austérité recommandée par le gouvernement risque, si elle touche cette commande, de mettre fin à l’activité éditoriale pour la majeure partie des éditeurs nationaux. Néanmoins, il faut préciser que certaines catégories de livres se portent bien, je citerais par exemple le livre parascolaire et le livre de cuisine. Cela nous amène à considérer la cause de la proportion démesurée de la demande publique par rapport à la demande totale. En fait, avec près d’un millier d’éditeurs, selon les statistiques officielles (Bibliothèque nationale et CNRC), l’édition en Algérie fait face à une situation d’occlusion intestinale, si vous me passez l’expression, car elle ne dispose comme débouché que de quelques dizaines de librairies pour la totalité du territoire national.

Les livres qui arrivent à s’en sortir ne souffrent pas de cette situation car ils disposent de réseaux parallèles, la papeterie pour le livre parascolaire et les commerces de produits pour pâtisserie ou d’équipements ménagers pour le livre de cuisine. Il faut ajouter à tout cela une concurrence déloyale, et j’insiste sur le mot déloyal, de la part du livre importé. Concurrence déloyale, car il bénéficie d’une réglementation déséquilibrée nettement en sa faveur, puisque le livre importé est assujetti à une TVA de 7% au lieu des 17% auxquels sont assujettis les différents intrants du livre et est exonéré de taxes douanières ou assujetti à une taxe douanière à taux réduit, selon les conventions internationales entre l’Algérie et le pays d’origine, alors que lesdits intrants du livre le sont à 15%.

Cela, d’une part. D’autre part, la marge bénéficiaire étant importante, l’importateur se permet de pratiquer des remises autrement plus importantes que celle que peut se permettre l’éditeur national et, de la sorte, s’accapare le peu de librairies qui existent encore. Vous pouvez le constater vous-même, les librairies affichent en vitrine et sur les rayons plus de 80% de livres importés. Cette situation met en grand danger la culture algérienne, ni plus ni moins.

Quelles sont les conditions à mettre en œuvre pour développer l’industrie du livre en Algérie ?

En effet, il suffit de revoir un certain nombre de pratiques et de les plier au bon sens pour que les choses aillent mieux.
-Tout d’abord, il faut reconnaître le caractère spécial du livre. Outre le fait que c’est un produit stratégique véhiculant notre culture et lui assurant une postérité, il faut lui reconnaître sa qualité de produit de large consommation. Chose qui, même si elle ne reflète pas sa situation actuelle, doit représenter l’état normal. Ce simple changement «théorique» de classification administrative du livre permettra un traitement de loin meilleur que l’actuel au niveau des banques.

-Ensuite, au niveau importation, il faut donner l’avantage à la production locale, surtout que même l’Organisation mondiale du commerce ne peut s’empêcher de considérer «l’exception culturelle». Donc, il ne s’agit pas seulement de donner les mêmes avantages au livre algérien qu’au livre importé, mais de donner un net avantage sur celui-ci au livre local, via les différents intrants de sa production tous importés.

Des mécanismes ont été proposés au niveau des ateliers du BookProd, qui seront traduits en recommandations adressées à qui de droit.


-Egalement, pour les autorisations d’importation de machines de production, nous proposons de rallonger la durée d’ancienneté, puisque il s’agit d’un matériel très onéreux et que, même au niveau mondial, il n’y a que les grandes entreprises des pays riches qui peuvent l’acheter neuf et moyennant des formules de leasing échelonnées sur cinq années. De sorte à ce que les trois années, comme limite d’ancienneté, pour le matériel de production importé par autorisation du ministère de l’Industrie et des Mines, ne nous soient pas d’un grand secours. La technologie elle-même pour le matériel lourd reste d’actualité pendant plus de dix ans. D’où nous proposons de porter cette durée à dix années.

-Sur le plan formation, nous avons lancé un partenariat avec le ministère de la Formation et de l’Enseignement professionnels pour ajuster les formations prodiguées au niveau des instituts et des centres de formation aux besoins exacts de l’industrie des arts graphiques pour accompagner le rajeunissement du parc machines qui est en train de se réaliser. Certains de nos partenaires proposent même de former les formateurs de ces instituts et centres de formation. Il faut savoir qu’il n’est pas facile pour un investisseur de laisser une machine qui coûte plusieurs dizaines de millions de dinars entre les mains de techniciens à la qualification qui laisse à désirer.

-Pour la commercialisation et au niveau réglementation, le code des marchés publics devra prendre en considération la particularité du livre. Et la comparaison devra se faire physiquement et non plus sur simple liste de titres et de prix. Un même titre peut avoir des prix différents, selon l’auteur. Et un même titre pour le même auteur peut avoir des prix différents, selon l’édition. Si on doit attribuer le marché au moins disant, ça ne devra se faire que pour les mêmes ISBN, ce qui identifiera les livres comme étant les mêmes. Nous avons également -déjà- proposé au ministère de la Culture pour les textes d’application de la loi du livre, que toute commande publique devra être constituée de 70% de production locale.


Quelles sont les principales recommandations issues du Salon pour booster l’investissement dans ce secteur et freiner les importations ?

Outre ce que je viens de citer, nous pouvons rajouter pêle-mêle :

- L’activité de libraire doit être réhabilitée dans la nomenclature Ansej après en avoir été écartée parce que considérée comme activité de revente en l’état ne produisant pas de valeur ajoutée. Nous faisons valoir, pour cela, le fait que c’est une activité de laquelle dépend la survie de tout un secteur de production, l’industrie du livre, qui n’a d’autre débouché que la librairie.

Elle, l’activité de libraire, est un appui vital à ce secteur, tout comme elle peut produire une valeur ajoutée immatérielle par l’organisation d’activités culturelles, telles que les promotions, les ventes-dédicaces, les périodes thématiques, etc. Ceci, dans un ordre d’idées favorisant une production d’idées à côté de la production de biens et services. Nous, c’est-à-dire l’ONEL, proposons d’approvisionner ces librairies créées dans le cadre du dispositif Ansej et de concevoir à cette fin une formation accélérée avec un institut spécialisé, avec en contrepartie le respect d’une clause stipulant que les rayons de ces librairies devront recevoir au moins 70% de la production nationale.

- Certains membres de notre organisation (ONEL) ont une expérience riche en matière d’exportation de livres et de participation dans des Salons du livre africains (spécialement). Il en est ressorti que l’exportation vers des pays africains est très possible, sauf que ces pays pauvres ne peuvent effectuer des virements en devises et proposent en contrepartie d’autres marchandises en troc. Si le ministère du Commerce pouvait établir une espèce de Bourse d’importation des matières premières ou des productions agricoles de ces pays, il en résulterait une exportation de livres produits localement (et/ou services d’imprimerie) en parallèle à des importations dont le coût est exclusivement en dinars algériens.

- Si le livre algérien, dans le cadre général de la reconnaissance de son caractère spécial, bénéficiait d’un coût de fret au kilogramme égal à celui de la datte, qui est de l’ordre de 5 DA le kilogramme, il aurait de beaux jours devant lui.

En effet, on ne peut parler d’exportation par containers avant de pouvoir exporter par colis. C’est par de petites commandes que le livre algérien se fera connaître. Dans l’état actuel, la chose est impossible, le coût du colis dépasse de loin le prix des livres le plus fort dans les limites du raisonnable. Alors pourquoi subventionner l’export de dattes pour que l’étranger mange des dattes algériennes à petits prix et ne pas le faire pour le livre algérien qui véhicule notre culture et nos idées. C’est un autre chantier à creuser pour l’ONEL, qui ressort du BookProd avec beaucoup de «pain sur la planche». De quoi occuper son temps en attendant le prochain BookProd.


Samira Imadalou

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Premier salon dédié à la production du livre : A la recherche de moyens de développement d’une industrie prometteuse

Pour la première fois depuis l’enregistrement du Salon international du livre d’Alger dans l’agenda de la Safex, un rendez-vous dédié à l’industrie du livre a été organisé en parallèle à l’initiative de l’Organisation nationale des éditeurs de livres (O.N.E.L.).


La manifestation intitulée Bookprod a eu lieu entre le 26 octobre et le 05 novembre 2016. Elle a regroupé tous les métiers du livre s’étendant tout au long de l’art graphique.

Pour les organisateurs d’un tel événement, c’est une manière de contribuer à renforcer l’industrie culturelle, en construisant une approche intégrée capable d’apporter des réponses aux problèmes du secteur. Le Salon a d’ailleurs été riche en débats sur de nombreuses thématiques liées à l’industrie du livre. Il s’agit, entre autres, de l’impact de la mise à niveau des entreprises dans ce secteur, les taxes douanières sur les intrants du livre, l’impression numérique en production industrielle, l’environnement administratif du secteur, les ambitions à l’exportation, l’investissement dans le secteur, l’apport de la récupération des déchets et enfin la formation professionnelle. A l’issue des débats, plusieurs recommandations ont été retenues et seront prochainement présentées.

A titre illustratif pour le volet formation, il a été convenu en raison du manque d’intérêt à certaines spécialités de développer notamment la branche art graphique.

Et ce, d’autant que les opérateurs du secteur ont éprouvé un besoin important en termes de récupération des ouvrages anciens. Il s’agit également de travailler pour s’adapter aux nouvelles technologies dans ce domaine. Les formations sont beaucoup plus théoriques dans ce domaine, les machines utilisées étant dépassées.

De manière sommaire, les solutions proposées ont trait à l’analyse du marché du travail dans ce domaine, le développement des programmes de formation et le soutien pédagogique à ces programmes. Le tout pour construire une interface entre le monde de la formation et celui des arts graphiques, une condition sine qua non pour développer l’industrie du livre et créer de l’emploi. «En dépit d’un contexte de crise, les professionnels du livre tentent de se prendre en charge et d’améliorer le rendement d’un secteur qui rencontre nombre de contraintes freinant le développement d’une industrie pourtant prometteuse» s’engagent les organisateurs de Bookprod.


Samira Imadalou

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Ammar Kessab . Spécialiste en management culturel : «Un marché du livre numérique a besoin d’une technologie avancée»

Il y a eu en Algérie une nouvelle loi encadrant le livre. Comment appréciez-vous son impact sur ce marché?

La loi n° 15-13 du 15 juillet 2015 relative aux activités et au marché du livre n’aura absolument aucun impact sur le marché du livre en Algérie, car elle est déconnectée de la réalité du secteur. Elle ne repose sur aucun fondement pratique et ne répond pas aux problèmes spécifiques du livre en Algérie. Je vous donne deux exemples : la loi précise que le secteur privé peut ouvrir des bibliothèques de lecture publique et réaliser des profits commerciaux. Pas moins de 6 articles ont été consacrés dans cette loi à cette activité. Connaissez-vous, à travers le monde, des bibliothèques privées qui font des profits ? C’est tout simplement impossible.

Elle consacre par ailleurs plusieurs articles à la vente des livres numériques. Les conditions pour un marché du livre numérique en Algérie n’existent pas, donc pourquoi traiter de cette activité dans cette loi ? Par contre, la question de la distribution, qui devait être au cœur de cette loi, a été complètement évacuée. En réalité, cette loi était conçue pour poser les mécanismes d’un contrôle rigoureux de l’administration sur le livre.

Elle indique, en effet, que les activités d’édition, d’impression et de commercialisation du livre s’exercent dans le respect, notamment de l’identité nationale. Je voudrais bien savoir où est-ce qu’on peut trouver une définition claire de cette «identité nationale» ? A mon avis, la loi du livre a été conçue par des personnes qui n’ont aucun lien avec le secteur.

Le livre numérique se développe ailleurs dans le monde. Apporte-t-il une quelconque valeur ajoutée à l’industrie du livre en Algérie?

Il est encore trop tôt pour parler du livre numérique en Algérie. Un marché du livre numérique a besoin au préalable d’une technologie numérique avancée, y compris un accès optimal à Internet, aux moyens de connexion et au paiement en ligne sécurisé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en Algérie. L’industrie du livre numérique d’un pays comme l’Afrique du Sud, qui est très en avance en matière de technologie par rapport à l’Algérie, ne représente que 2% de l’industrie du livre en général. Occupons-nous déjà des problèmes liés au livre imprimé, ça sera déjà un grand pas en avant.

Sur le plan économique et d’organisation, l’édition numérique a-t-elle des avantages par rapport à l’édition classique?

Non, l’édition numérique n’a pas encore prouvé son efficacité, surtout dans les pays en développement. Le livre imprimé continue d’être très attractif et constitue l’essentiel de l’édition à travers le monde. A ce jour, elle ne représente que 4,3% de l’industrie du livre en Italie, 5% de celui des Pays-Bas et 8,2% de celui de l’Allemagne. Ce n’est pas en Algérie que ça va marcher, notamment pour les raisons que j’ai expliquées précédemment.

En termes de revenu, il serait théoriquement plus bénéfique pour un auteur de publier en numérique que d’être édité d’une manière classique. L’édition numérique est-elle pour autant grand public ou destinée à un marché de niche ?

Dans l’absolu, le livre numérique peut être complémentaire du livre imprimé, en ce sens où le consommateur a besoin d’avoir une offre éclectique. Il va sans doute se développer davantage, mais pas avant 50 ans, dans les pays en développement.

Enfin, le marché du livre en Algérie est dominé par l’importation. Cela est-il un avantage ou un inconvénient pour le développement de l’édition numérique ?

La forte proportion des livres importés en Algérie démontre que le secteur du livre est faible, et n’arrive pas à satisfaire la demande locale. Maintenir l’industrie du livre en Algérie sous perfusion peut émaner de la volonté des lobbies des importateurs des livres, qui se sont considérablement enrichis ces dix dernières années. L’importation à outrance est un frein au développement du livre imprimé localement. Elle l’est aussi pour le développement du livre numérique.

Safia Berkouk

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L’industrie du livre en crise : Dans l’attente de fortes mesures de redressement

Jamais élevée au rang des priorités gouvernementales, désertée par les lecteurs et très mal servie par des éditeurs fraîchement débarqués dans la profession et des auteurs en constante régression numérique, l’industrie du livre n’arrive pas à trouver ses marques en Algérie.


Le problème ne date malheureusement pas d’aujourd’hui, puisqu’il fait l’objet de débats depuis le lancement des réformes de 1988. Des débats sans fin et sans résultats probants se poursuivent aujourd’hui encore.


Si la production et la diffusion, autrefois dévolues exclusivement à l’Etat, se sont libéralisées, les problèmes qui minaient le secteur sont pratiquement restés les mêmes. A certains égards, on peut même affirmer qu’ils se sont exacerbés. On peut, à titre d’exemple, citer le cas des prix autrefois plus accessibles car soutenus par l’Etat qui ne le fait plus aujourd’hui. Les prix exagérément élevés pratiqués depuis leur libéralisation par les éditeurs et les libraires constituent, de l’avis de tous les lecteurs que nous avons interrogés, la cause principale de leur prise de distance par rapport aux livres devenus pécuniairement inaccessibles.

Certains éditeurs ont bien tenté de contourner le problème en rachetant des droits d’auteurs de livres publiés à l’étranger, mais le marché informel qui a rapidement pris racine sur ce juteux créneau, a vite fait de les en dissuader. Un des principaux éditeurs algérois nous apprend qu’une part non négligeable des nouveaux arrivés dans le monde de l’édition n’utilise leurs agréments d’éditeurs que pour faire fortune dans le piratage de livres et autres supports culturels. Il est temps, dit-il, de mettre de l’ordre dans le secteur, à défaut de quoi, les éditeurs déserteraient la profession pour ne s’occuper, pour ceux qui disposent d’une imprimerie, que de l’impression de livres scolaires et universitaires qui rapportent gros. Certains éditeurs qui ont engrangé de grosses commandes de livres scolaires, sont déjà dans cette logique certes mercantile, mais compréhensible pour ces opérateurs réputés commerciaux dans leurs activités.

Mais à regarder de près, le problème de l’industrie du livre n’est pas imputable à ce seul acteur. Toute une chaîne d’intervenants se trouve impliquée en se faisant souvent mutuellement obstacle. On citera à titre d’exemple les auteurs mal rémunérés (les droits d’auteur sont d’à peine 10% des recettes perçues par l’éditeur) de moins en moins intéressés par l’écriture, les distributeurs qui ne couvrent qu’une part infime du territoire national, les imprimeurs de plus en plus chers sans amélioration sensible de la qualité de leurs prestations, les traducteurs qui font défaut dans la spécialité et les libraires dont le nombre se réduit comme peau de chagrin.


Entraves à l’export

Les commerces du fast-food, de la téléphonie mobile et du prêt-à-porter, sont en effet plus faciles et plus gratifiants que le commerce du livre, qui requiert un minimum d’instruction, mais aussi et surtout davantage de patience en matière de retour sur investissements. Etant nous-mêmes écrivains, nous nous sommes interrogés sur le pourquoi de la non-exportation des livres algériens, ne serait-ce qu’en direction de pays francophones (France, Belgique, Canada) et arabophones (Egypte, Liban, pays du Golfe) où existe un lectorat potentiel considérable.

Tous les ouvrages édités en Algérie (romans, histoire, économie, politique, sociologie) seraient bon à prendre par ces communautés très intéressées par tout ce qui se passe dans leur pays d’origine. Le pays perdrait ainsi annuellement entre 150 et 200 millions de dollars, tout simplement parce que la réglementation de la Banque d’Algérie (articles 60 et 68 de la loi sur la monnaie et le crédit) fait obligation aux exportateurs de livres de rapatrier, sous peine de poursuites judiciaires, les recettes engrangées dans un délai n’excédant pas quatre mois (120) à compter de la date d’expédition. Ce qui est impossible à réaliser compte tenu de la nature de cette activité bien spécifique qui requiert beaucoup de temps pour distribuer, vendre et répartir les recettes entre les différents intervenants commerciaux exerçant à l’étranger.

De ce fait, les éditeurs algériens ont préféré déserter ce juteux créneau de l’exportation plutôt que de s’exposer à d’éventuels ennuis judiciaires. La nature ayant horreur du vide, ce sont les éditeurs étrangers qui ont pris d’assaut le marché algérien du livre en utilisant bien souvent les instruments de marketing pourtant expressément mis en place par les autorités algériennes pour promouvoir l’exportation de ce produit culturel qui, a priori, dispose d’un marché potentiel considérable à l’étranger. Le Salon international du livre, qui draine des foules considérables, est ainsi mis à leur disposition pour y promouvoir le commerce de livres étrangers de toutes natures, y compris, ceux qui sont piratés.

Un code du livre, dont on promet la promulgation depuis la fin des années 90, devait aplanir une bonne part des difficultés relevées, mais il n’a pas vu le jour. Attendu aujourd’hui encore comme remède miracle, on évoque à diverses occasions sa promulgation prochaine, même si certains journalistes ayant eu accès à ce projet de code, ont décelé dans le texte des velléités à peine voilées, d’introduction de censures politique, religieuse et identitaire. Les quelques éditeurs que nous avons interrogés sur la question pensent que le livre est un produit culturel qui ne se gère pas à coups de lois rédigées en vase clos par des autocrates qui, bien souvent, rament à contre-courant des réalités du pays. Pour s’épanouir, l’industrie du livre, affirment-ils, a surtout besoin d’un cap politique clair et de mesures incitatives en faveur des métiers utiles, mais mal rémunérés du livre (écrivains, traducteurs, libraires, etc.).

L’Etat régulateur se doit d’intervenir pour booster le lectorat, en multipliant le nombre de bibliothèques de proximité et en menant des actions médiatiques de nature à inciter les écoliers et étudiants notamment à lire. Nos interlocuteurs ont bien raison, le marché du livre ne peut se concevoir sans lecteurs. Sans demande conséquente, ce marché est condamné à végéter, voire à disparaître, si les faillites des éditeurs et des libraires venaient à être nombreuses.

Nordine Grim