Politique du livre-Que fait l’État ?
Posté par alger-culture le November 01 2007 12:54:39
De la providence à la connivence
Par : Ameziane Ferhani. El Watan (01/11/2007)
De l’achat de livres par couffins, nous sommes passés à l’ordonnance homéopathique. Au-delà de la nostalgie, comment traite-t-on le sevrage livresque des Algériens ? Il fut un temps où l’Etat Providence s’occupait autant des tomates que des livres. Ces derniers, subventionnés, étaient vendus bien en deçà de leurs prix réels.
Période bénie, encore qu’elle ait entrainé chez les Algériens le réflexe conditionné d’une lecture par l’achat quand, dans le monde entier, la bibliothèque supplante la librairie. Mais l’un dans l’autre, ceux qui s’en souviennent, en comparant le marasme actuel à cette ère d’abondance des années quatre-vingt, où l’on prenait un couffin pour acheter des livres, ne peuvent qu’en concevoir un immense sentiment de nostalgie et d’amertume. C’est qu’après, nous sommes entrés dans l’économie de marché avec un engouement libéral extrême qui a conduit, entres autres, à l’abandon de l’action publique pour la chose culturelle. Le livre en a pâti, devenant plus ou moins disponible selon les périodes, mais de moins en moins accessible, plus d’ailleurs à cause du pouvoir d’achat, qu’en raison de son coût. Pourquoi serions-nous plus libéraux que des pays qui l’ont toujours été et disposent pourtant de politiques du livre et de mécanismes de soutien à l’écriture, à l’édition et à la diffusion ? Bref, face à l’état du livre, que fait l’Etat ? C’est ce que nous sommes allés chercher au ministère de la Culture auprès du directeur du livre et de la lecture publique. Sur une table, la maquette d’un coffret de recueils de poèmes de Messaour Boulenouar, cette immense poète négligé. Rachid Hadj Naceur, nous signale que le ministère soutient ce projet avec les éditions Dalimen, ajoutant qu’il vient de recevoir les enfants de l’auteur, hélas malade. Remontée dans le temps et d’abord aux Assises de 2003. Tant d’espoirs alors qui ont justifié a postériori le désenchantement. « Le ministère n’a pas abandonné cette ligne, précise notre interlocuteur. Les Assises ont permis de dresser un état précis des lieux et surtout de collecter les propositions des professionnels. La synthèse a été confiée à une équipe de juristes qui a formulé en 2006 un projet de loi sur le livre ». Cette Loi devait constituer le cadre juridique d’une politique du livre. Entre temps, la démarche a changé. Priorité désormais à la création d’un centre national du livre, une structure semblable à celle de plusieurs pays et en avance sur l’idée d’un observatoire du livre, formulée aux Assises et lors de la journée d’étude de 2005. Le CNL devrait, outre l’élaboration de statistiques et d’analyses, agir concrètement et apporter des aides diverses. Ses textes seront soumis dans les prochains jours au gouvernement. Il devrait démarrer au 1er trimestre 2008. Pour Hadj Naceur, le CNL sera un outil précieux de promotion du livre et permettra au ministère de se consacrer entièrement à sa mission de régulation et de développement de la lecture publique. Mais surtout, les opérateurs du livre (auteurs, éditeurs, diffuseurs…) seront représentés au sein du Conseil d’administration. « Il s’agit de consacrer le caractère spécifique du livre. C’est l’objectif principal. Aujourd’hui, le livre est traité comme n’importe quel produit… Il faut que lui soit reconnu son caractère public et d’intérêt national. Si nous parvenons à ce résultat, l’essentiel aura été fait. » Nous faisons remarquer à notre interlocuteur que la loi visait le même objectif avec, de plus, la prééminence que lui confère la Constitution. Mais il apparaît que le ministère, plus pragmatique, compte, avec le CNL, d’abord associer les professionnels à la gestion de l’aide publique au livre et disposer ainsi d’une force de proposition à même de formuler des mesures légales ou règlementaires. Il est certain qu’une mise en place par décret exécutif est infiniment moins longue et ardue que le parcours d’adoption d’une loi.
Cap sur les bibliothèques !
On relève au ministère que l’évolution des revendications et attentes des professionnels, comme de la société, montre que la situation a elle-même évolué. « L’édition s’est assez bien développée, affirme le directeur du livre. De nouveaux auteurs apparaissent. La qualité n’est pas toujours au rendez-vous, les difficultés et contraintes sont là… Mais nous sommes loin de la pauvreté généralisée qui a longtemps sévi ». De même, il souligne le nouvel engagement des pouvoirs publics en faveur du développement culturel et l’adoption par le Conseil du gouvernement du 26 septembre 2007 de schémas directeurs pour l’ensemble des disciplines. On peut cependant se demander en quoi un schéma directeur peut constituer une politique culturelle ? Pour y répondre, il serait sans doute indispensable que le ministère reprenne ses consultations avec les professionnels et que ces schémas soient communiqués au- delà du laconisme d’un communiqué. Sans adhésion des concernés, comment espérer leur participation ? D’autant, comme l’affirme Hadj Naceur, que « les relations avec les acteurs du secteur sont excellentes. Nous sommes en contact étroit avec les éditeurs et même les auteurs ». A notre remarque sur le caractère sans doute positif mais aléatoire de tels contacts, il reconnaît que « ces canaux devraient être formalisés, approfondis et disposer de cadres représentatifs, » avant d’ajouter que « c’est, entre autres, ce que nous poursuivons avec le projet de CNL, d’autres cadres et voies restant à imaginer et créer ». Des échéances à 2009, 2014 et même 2025 augurent d’une vision de long terme mais, faute de communication, peuvent paraître de la science-fiction. La lecture publique y tient une belle part. Cap sur les bibliothèques ! Deux réseaux sont concernés : celui du ministère de la Culture et celui des bibliothèques communales. Le premier comprend 34 bibliothèques ou espaces de lecture intégrées aux Maisons de la culture. En 2009, ce chiffre devrait atteindre 48, soit une par wilaya. Le programme a retenu la création de 300 autres bibliothèques ou espaces du livre. La BN a mis en œuvre la création de 35 annexes d’ici à 2014. Etat actuel : 3 déjà fonctionnelles (Béjaïa, Béchar et Frenda) et 11 livrables au 1er semestre 2008. Le deuxième réseau compte environ 500 bibliothèques communales « d’inégale valeur ». Dépendantes des APC et donc, en amont, du ministère de l’Intérieur et des Collectivités Locales, le programme les concernant prévoit 1184 créations. Les études ont été lancées et « une grande partie » devrait être livrée en 2009. Principe : les lieux sont réalisés par le ministère de l’Intérieur et aménagés, dotés et gérés par celui de la Culture. Les deux départements travaillent conjointement à ce projet. Résultats : un état des lieux « exhaustif », achevé en 2005, l’adoption de normes conformes à celles de l’Unesco, la réalisation de cahiers des charges selon la taille des agglomérations. Il reste à trancher sur le « petit fonctionnement », ces histoires de gardiennage, de maintenance, de nettoyage, etc. qui peuvent faire capoter les plus prestigieuses entreprises. Référence : les écoles primaires qui dépendent sur ce plan des APC et, pour le reste, de l’Education nationale, et où le remplacement d’une ampoule devient parfois épique… Les bibliothèques du MC disposent depuis peu d’un statut (J.O. 19 septembre 2007). Ce n’est pas encore le cas des communales. En outre, des fonds énormes devraient être mobilisés (équipement, dotation en livres, fonctionnement). C’est donc main dans la main que « l’Intérieur » et « la Culture » se sont adressés à « Sa Majesté financière », pour reprendre l’expression savoureuse de Brassens. Wait and see… Sur la question des librairies, Hadj Naceur, déplorant leur déperdition (notamment celles de l’ex-ENAL), souligne l’absence d’emprise juridique du ministère, leur statut relevant du droit privé. Il nous apprend qu’une enquête nationale sur le réseau des librairies va être lancée.
Au-delà des événements...
Entre temps, est venu Alger, capitale de la culture arabe ! Sur les 1001 titres prévus, 800 sont parus, le reste devant sortir d’ici la fin de l’année et, probablement, au début 2009, au vu des capacités d’édition et d’impression. Comme il a eu déjà à le faire, le directeur du livre affirme qu’aucune censure n’est en vigueur : « Une simple visite des librairies permettrait de le constater. Il y a eu des choix contestés, mais nous ne pouvons soutenir tout le monde au même moment. Sur 1001 livres programmés, on ne peut soutenir que 1001 livres. Et dans l’ensemble, nous avons veillé à répondre au maximum de projets. » Il est vrai que de nombreux éditeurs ou auteurs ont bénéficié de la formule. Jamais sans doute l’Algérie n’aura édité autant. On le « sait », mais nous ne pouvons le mesurer. Aucune statistique, mises à part celles du dépôt légal de la BN qui mériteraient d’être affinées pour être exploitables. Cette absence de données est la cause de débats stériles, chacun arguant de ses propres observations, intérêts ou fantasmes. Mais faut-il attendre le CNL ? Les « années-évènements » ne faisant pas le printemps, quid du soutien ordinaire ? Il existe un fonds, le FDAL (développement des arts et lettres, hors cinéma). Doté de 50 millions de dinars par an, un tiers revient au livre, ce qui doit bien faire 16 millions de dinars. Une misère en se livrant au calcul suivant : mettons un livre basique de 300 DA à 1500 exemplaires, soit 450 000 DA, ce fonds ne peut donc financer que 35 livres et demi ! Doté en 1998, il fonctionne surtout depuis 2002. Un projet de modification de son décret a été introduit. Mais un fonds spécifique au livre, lié au futur CNL, apparaît comme la voie la plus adaptée. S’agissant des mesures fiscales, la prochaine loi des finances, en libérant les importateurs de livres et autres produits culturels de l’obligation de disposer d’un capital de 20 millions de dinars, devrait booster ce volet. « Nous serions satisfaits, poursuit M. Hadj Naceur, si un allègement fiscal des entreprises du livre pouvait être adopté. Avant chaque Loi de Finances, nous consultons les professionnels. Actuellement, le poste le plus lourd est celui du papier. La volonté ne manque pas. Il était question un moment de le soutenir, mais comment distinguer le papier destiné aux livres de celui des emballages ou publicités ? » Notre interlocuteur a tenu enfin à rendre hommage à tous les acteurs du livre. Nous l’avons quitté en jetant un œil sur la magnifique vue d’Alger, pensant que si des choses se font du côté de l’Etat, on ignore encore jusqu’où elles iront et elles mériteraient une information active. D’ici, le Plateau des Anasser paraît plus isolé avec la fermeture de la route pour cause de construction d’un viaduc. Viaduc, voilà ce qui manque entre ces programmes et les « gens du livre ». De la providence dépassée, l’Etat est appelé, dans le livre, comme ailleurs, à créer une connivence avec la société.
Ameziane Ferhani